L'être de cendres
L’être de cendres.
De temps en temps, je vais rendre visite au gros chêne résidant de l’autre côté de la vigne, qui gentiment me laisse passer quand j’écarte ses sarments feuillus, ou aujourd’hui les grains commencent à rosir.
Ce chêne est mon ami. Je l’entoure de mes bras quand j’arrive, mais il est si gros qu’il faudrait que nous soyons au moins deux pour joindre nos mains. Hélas, je suis seul, sans autres mains que les miennes, car celles que je tenais reposent dans le silence.
Je lui parle. Il demande à tous ses petits-enfants qui jouent autour de lui de se taire un instant et d’arrêter leur bruissement pour pouvoir m’écouter.
Ce chêne est immobile, apparemment, et figé dans cette caillasse, il développe ses branches jusqu’au ciel dans un enchevêtrement artistique. Son écorce est dure, mais son coeur est tendre, car il me comprend avec l’expérience qu’il a de la vie, depuis des dizaines d’années qu’il pousse tranquillement.
Il ne bouge jamais, jamais il ne tourne la tête pour regarder d’autres horizons? Il est là. De temps en temps, ses bras les plus hauts et les plus fins s’agitent au gré du mistral qui vient lui porter quelques nouvelles de ce qui se passe ailleurs.
Quand je viens vers lui, est-ce lui qui vient à ma rencontre ou est-ce moi qui me déplace ?
Car moi aussi je suis immobile figé dans mon histoire, esclave de mon passé, peut-être sans avenir, qui sait ! Le temps s’écoule si vite qu’il est déjà hier. Et hier ressemble à plus tard, car l'angoisse de la vie est la même tout le long de ce parcours, qui parait-il n’est qu’initiatique.
Le chêne lui aussi sait qu’il va mourir et retrouver un jour toutes les joies et les tristesses qui ont jalonné son histoire ; mais il est serein, car on lui a dit qu’il allait rejoindre le soleil. Et que près du soleil, lequel, on ne sait jamais, il allait peu à peu tout oublier, parce que là où il va être il ne sera plus arbre ; pas plus que je ne serai homme si je viens avec lui.
Quel regard va-t-il jeter sur la forêt qu’il vient de quitter ? Quel regard portent sur nous toutes celles et ceux qui sont partis là-haut, vers les confins de l’univers, au delà même, retrouver cette énergie à laquelle ils appartiennent.
Peut-on imaginer qu’ils n’ont plus de mémoire, plus le moindre souvenir, plus d’amour, plus de regard ; qu’ils sont devenus autre chose, ou rien, ce qui voudrait dire que nous sommes, nous-même, sans aucune existence réelle ; que nous sommes des parcelles de feu qui brûlent puis s’éteignent, puis disparaissent. Comme le chêne, pour terminer en cendres, éparpillées par le souffle de l’oubli mais espoir, seul espoir, parcelles immortelles de l’énergie cosmique.
J-LdL
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