COURANT ALTERNATIF --- chroniques du Calavon

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Une lueur dans la nuit

    J’avais comme l’impression qu’elle s’éloignait, qu’elle partait vers un autre destin, une autre mission peut-être plus importante. Je la voyais dans le chemin, près de moi me disant au revoir, puis déjà plus fluide, un corps, le visage et le sourire, tout s’estompait, alors, elle devenait une vague forme, une ombre, un point, plus rien qu’un souvenir...

    C’était bien triste et en même temps tellement logique, plus un signe d'espoir que la raison d’un désespoir, une marche normale que je devais accomplir, seul, maintenant pour devenir ce qui était prévu que je devienne, quelqu’un comme les autres, comme les millions de milliards de femmes et d’hommes du passé et de l’avenir, condamnés par leur histoire à terminer en solitude le parcours incohérent d’une vie qui apparemment ne voulait rien dire. 

    

 

     J’allais donc rejoindre la foule des désespérés dont le chagrin s’était mué peu à peu en une sorte d’angoisse irrationnelle, oubliant sans doute, trop vite, que tout ce qui arrivait avait été raconté ; que l’enfance n’était là que pour nous préparer à la vieillesse, la vieillesse au deuil et le deuil à la mort. 

    

     Et que ce destin banal ne signifiait que peu de chose si on ne le considérait que dans son unicité, car il n’existait que parce qu’il n’y avait les autres et que les autres n’étaient que parce qu’il était lui.



    Terrible découverte que celle d’une petite place, d’une simple place dans la foule, et rien d’autre, rien de mieux, rien de pire, une marche en avant avec les autres, une procession qui laisse sur sa route les corps de toutes celles et ceux qui devaient s’arrêter.
    
    A quoi peuvent-ils bien servir tous ces êtres humains ? A construire des routes, peindre des tableaux, écrire des musiques ?

 

 

* *



    Mais je m’étais trompé. Pendant quelques instants j’avais perdu la foi, je ne croyais plus car peu à peu étaient sortis de ma tête tout ce qui était rentré, accumulé par les ans, histoires ensemble, joies, tristesses, moments de vérité, constructions, éphémères peut-être, mais il n’y a que cela. Et sans m’en rendre compte, je me laissais aller à une dérive impossible. 

    

 

     Alors, la voix m’a réveillé brutalement. Elle m’a dit ce que je n’avais pas encore vraiment entendu, pas encore compris, que j’étais en fait un être unique ; et quand, du ciel on regardait ce triste défilé, il y brillait un point, une lumière et que cette lumière c’était moi, et que je n’avais pas le droit de la laisser s’éteindre. Oh ! Je n’avais pas plus de qualités que les autres, pas plus de richesses ; je n’avais pas une histoire extraordinaire que l’on puisse un jour raconter dans les livres. J’étais simplement unique.

    

 

     Et la voix me disait qu’elle était toujours là, près de moi, que ce que j’avais vu sur le chemin c’était uniquement le mirage de ce que j’avais imaginé, construit, hanté par mes souvenirs et que cette image devait me quitter car c’est comme cela que les choses se passent ; mais l’essentiel n’allait jamais m’abandonner, cette énergie fondamentale, ce regard cosmique, cette chaleur venue d’ailleurs dont la mission était de m’accompagner et de répondre à mes questions. 

    

 

     Alors j’ai regardé celles et ceux qui m’entouraient et qui marchaient le dos voûté, le regard dans le vide, toutes ces femmes perdues de la guerre, toute cette misère humaine, indescriptible car inutile, tous ces instants de vie qui croyaient n’être rien, des instants de vie pour rien, uniquement pour perpétuer d’autres instants de vie aussi inutiles et sans avenir. Et grâce à la voix qui me guidait, je leur ai parlé et je leur ai dit que eux aussi avaient une voix, mais qu’ils se refusaient de l’entendre ; et je leur ai dit de croire, que c’était le seul moyen pour eux de marcher en redressant la tête, avec dignité et courage, comme des hommes et comme des femmes uniques, avec toute la grandeur et le mystère de leur unicité. Et alors je leur ai dit que comme eux, j’avais pendant un instant perdu la foi en mon destin mais que maintenant je savais et que eux aussi devaient savoir qu’ils n’appartenaient pas au monde de la terre et de la boue, mais à l’union de l’énergie cosmique qui les avait imaginé et créé.

    Alors, toutes les voix que plus personne n’entendait se sont réveillées. Et de cette foule qui marchait d’un pas déjà plus alerte et plus joyeux, s’est élevé un murmure, une prière, une chanson, un souffle d’espoir. Personne n’était oublié, tous, enfin retrouvaient une raison d’être, un nouveau rayonnement vital.

JLdL



21/12/2012
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